Leslie Ossete, porter l'entrepreneuriat africain‍

Enfant du Congo-Brazzaville, Leslie Ossété a très tôt été conditionnée à l'ouverture d'esprit et à la curiosité : « Mes parents ont tous les deux étudié à l'étranger et ont toujours voulu que leurs enfants découvrent le monde. Je me devais d'apprendre de nouvelles langues, de voyager. Même si mes parents n'étaient pas les plus aisés, ils faisaient en sorte qu'on voyage pour apprendre l'anglais, qu'on découvre de nouveaux pays, qu'on connaisse aussi nos racines... » 

Bien qu’il soit fréquent que de jeunes africains partent faire leurs études en Europe, Leslie Ossété a fait le choix de partir aux Etats-Unis : « Mes parents ont toujours voulu que je poursuive le rêve américain. J'ai vécu leurs rêves à leur place. Très tôt, dès le lycée, je suis partie finir ma scolarité aux Etats-Unis avant d'entrer dans une université pour faire un cursus en bachelor d'économie et business management. »

Après son passage aux Etats-Unis, Leslie est revenue sur le continent africain : « Malgré les options de carrière ou de poursuite d'études qui s'ouvraient à moi là-bas, j'avais la fibre entrepreneuriale, donc je suis rentrée. Depuis toute petite, j’ai toujours été celle qui va avoir un petit business, qui va vendre ses dessins ou ses petites histoires dans la cour de récré. »

Et ce retour ne s'est pas fait au hasard : « Durant ma dernière année de bachelor j'ai participé à un concours mondial d'entrepreneurs étudiants. Cette année-là, en 2016, il y avait plus de 25 000 participants, et avec mon équipe nous avons remporté ce concours, ce qui nous permettait de lancer notre business dans le pays de notre choix, en étant financés à hauteur d'un million de dollars. On a alors choisi de lancer une start up tech au Kenya, qui se voulait à l’époque la nouvelle Silicon Valley africaine. » 

« J'étais co-fondatrice CEO de ce projet. C'était une belle aventure d'humilité, de travail, et de leadership car quand on est jeune, sortant des bancs de l'école, on pense tout savoir, mais en fait, on ne sait pas tout. 

C'est ce genre de moment qui fait le parcours d'un entrepreneur. L'évolution qu'on en tire sur le plan personnel et sur le plan des valeurs, du caractère, c'est ça qui rend l'aventure entrepreneuriale encore plus belle. »

Cette première entreprise offrait un modèle de taxis à la demande ayant pour objectif de révolutionner les transports publics kényans pour soulager les usagers face aux difficultés. Mais il a fallu faire mûrir cette vision : « Nous avions un peu idéalisé le projet. Dans la réalité, le consommateur fonctionnait d'une manière différente de ce que nous avions anticipé. On a dû pivoter vers un modèle plus scalable qui était une marketplace de vente en ligne de tickets de transport de bus, train, etc, axé sur les trajets longue distance. »

Aujourd'hui, le projet s'est développé, permettant aux gens de payer leurs tickets par mobile money. Des millions de consommateurs sont utilisateurs, et pas seulement au Kenya : « Aujourd'hui, la start-up a bien scalé, devenant indépendante. Cette aventure m'a appris l'importance de se préparer à entreprendre et c'est la raison pour laquelle après j'ai voulu aller travailler dans d'autres écosystèmes, sous d'autres leaderships, pour me former. »

« À l'époque, l'écosystème tech au Kenya était vraiment bouillonnant, et je rencontrais beaucoup de jeunes fondateurs qui à chaque fois me demandaient comment ils pouvaient se démultiplier pour porter leur entreprise sur différents fronts. Ils me disaient : « J'aimerais que tu m'aides à lancer mon projet dans d'autres pays ». 

Alors, je n'étais plus seulement basée au Kenya, j'ai fini par lancer des startups au Rwanda, en Tanzanie, en Ouganda. Cette expérience m'a permis de mieux me structurer, de travailler en équipe, et d'apprendre à travailler avec la vision de quelqu'un d'autre. 

Pour réussir dans de nouveaux pays, l'éducation que j'ai reçue a toujours été clé : j'ai fait un lycée international. J'y avais une colocataire allemande, une américaine, ma voisine était japonaise, et ma meilleure amie était sénégalaise. J'avais tout un parterre de nationalités autour de moi et ça a été une expérience qui m'a préparée pour le reste, car aujourd'hui, je suis capable d'aller dans n'importe quel pays et de m'adapter, d'apprendre très vite la culture, parfois même la langue. Ce qui a dirigé ma carrière. »

Cette capacité à aller vers l'inconnu a également amené Leslie Ossété à avoir un fort impact sur les pays d'Afrique de l'Est, notamment lors de sa coopération avec Bolt : « Bolt est très connu pour le service VTC avec les voitures à quatre roues, mais en Afrique de l'Est, il y a beaucoup plus de personnes qui utilisent les boda-boda qui sont des motos souvent très dangereuses. Dessus, les chauffeurs et passagers ne portent pas de casque, pas de gilet, mais comme il y a beaucoup d'embouteillages les gens ont tendance à prendre ce moyen de transport. Les taux d'accidents et de mortalité sont par conséquent très élevés. 

Avec ce projet, l'idée c'était pas seulement de digitaliser l'usage de ces motos, mais aussi d'apporter de la sécurité. Si au début, les chauffeurs de moto ne portaient pas de protections, ils se sont mis à le faire parce qu'on a rendu ça cool. Les passagers aussi les portent désormais. On a également rendu ces motos traçables, pour éviter les vols et mettre en sécurité les utilisateurs. Nous avons offert des cours de conduite aux chauffeurs car beaucoup d'entre eux n'avaient même pas de permis… Donc il y a eu une vraie structuration de cette industrie après l'arrivée de Bolt. Ce qui n'aurait pas été possible sans l'aide d'une grande entreprise. »

Leslie Ossété se décrit elle-même comme une start-up geek, à l'affût de toutes les actualités entrepreneuriales, et dans ce contenu qu'elle dévorait, un modèle touchait particulièrement l'entrepreneuse, celui du startup studio : « Le modèle du startup studio, je le regardais depuis longtemps. Je le voyais grandir, notamment à Paris et je le trouvais hyper intéressant. Et j'ai toujours pensé qu'un jour, j'aimerais bien faire quelque chose de similaire. Parce que j'ai moi-même été fondatrice de start up très jeune et je n'ai pas forcément été accompagnée et mentorée. Je n'ai pas reçu toutes les ressources nécessaires pour réussir au mieux ma start up. Que ce soit sur le plan performance, humain, leadership, ou management… Et je suis persuadée qu'être dans un cadre où on a des experts autour de nous, des ressources, ça accélère ta start up. Donc, j'ai rapidement eu beaucoup d'affection pour ce business model. » 

« Je suis persuadée qu'en Afrique, il n'y a pas eu que moi qui aurait eu besoin de plus. Combien de fois va-t-il encore y avoir des entrepreneurs africains francophones qui auront besoin d'être accompagnés localement, sans pouvoir le faire ? Ce manque d'aide explique notamment le nombre de start up africaines qui n'atteignent même pas le pre-seed, d'où mon envie de lancer un startup studio. »

Le reste appartient à l'histoire : « Mon cofondateur et moi, nous nous sommes rencontrés sur LinkedIn. Je connaissais mes forces pour lancer un tel modèle, mais je n'avais pas tout : je n'avais pas l'infrastructure, ni le réseau d'investisseurs. Et quand j'ai rencontré Cédric Mangaud, il s'est trouvé qu'on avait des expériences complémentaires.

Moi, je maîtrisais le lancement d'opérations de start up en Afrique, que ça soit en early stage, ou en période de scaling. J'ai une bonne compréhension des réalités qui sont assez particulières en Afrique, parce que le marché est très informel. 80% de l'économie africaine a des besoins très primaires, qui ne sont pas au sommet de la pyramide de Maslow

Tandis que Cédric, lui, apportait son réseau international d'investisseurs, étant lui-même VC et business angel. Il apporte aussi une expérience internationale plus axée vers la technologie mobile qu'on a choisi de mettre au centre de Mstudio. »

Ensemble, Leslie et Cédric ont fondé Mstudio, le premier startup studio d'Afrique Francophone axé sur la technologie mobile : « En fait, le M pour Mstudio, c'est Mobile. L'idée de ce projet, c'est que tous les petits acteurs du secteur informel, qui n'ont pas accès à la tech mais qui ont de plus en plus de smartphones, reçoivent un vrai changement de vie à travers des applis mobiles simples, intuitives, et scalables. »

« Lancé en 2022, aujourd'hui, nous sommes capables d'accueillir 10 start-up par an. À date, on en a déjà huit et on est censés atteindre notre quota cette fin d'année. »

« Notre objectif, avec Mstudio, c'est de rehausser le niveau de la tech en Afrique francophone, qui est un peu en retard par rapport aux autres écosystèmes d'Afrique anglophone. Ce serait une belle victoire si dans deux ou trois ans, les chiffres en Afrique francophone étaient au vert. 

Ensuite, avec chacune des startups que nous accompagnons, nous cherchons à avoir un véritable impact positif sur le quotidien de la population. Par exemple, on a une start- up, Djoli, qui travaille avec des femmes restauratrices. Aujourd'hui, ces femmes se lèvent chaque matin aux aurores, pour aller au grand marché acheter leurs produits frais. Et une fois sur place, les prix des produits ne sont pas stables à cause du nombre d'intermédiaires tout au long de la chaîne de valeur. 

Par conséquent, ces femmes perdent beaucoup d'argent, de temps et ont de très faibles marges sur la vente de leurs plats. Avec Djoli, on essaye de changer leur quotidien en leur proposant la possibilité de commander ce qu'elles veulent sur une application, en se faisant livrer, le tout moins cher parce qu'on est capables de sourcer nos produits directement auprès des producteurs en évitant tous les intermédiaires. Ce genre d'évolution, c'est important pour les femmes en Afrique, car elles gagnent du temps pour pouvoir le passer avec leurs familles, et gagnent plus de marge, pour offrir à manger à leurs proches ou payer l'école de leurs enfants. Il y a un vrai impact derrière ce projet. On ne veut pas travailler sur des sujets qui ne touchent qu'une classe privilégiée. On veut toucher ceux qui en ont le plus besoin. »

Pour sa part, à travers ce projet, Leslie Ossété s'engage pour les entrepreneurs africains, pour leur réussite, et leur rayonnement : 

« À titre personnel, mon challenge, c'est d'améliorer la qualité du talent entrepreneurial en Afrique francophone. À travers les évènements que j'organise, ma participation dans des podcasts ou évènements, je cherche à contribuer à l'écosystème, à faire porter des voix pertinentes pour qu'elles atteignent le plus de personnes possibles, et que tous puissent apprendre et s'améliorer. Constater une avancée en termes de talent entrepreneurial en Afrique francophone c'est mon objectif. »

Portrait réalisé par Dare Society